L’Hypertrophie Fonctionnelle Est-Elle Le Secret De La Performance Athlétique?
La réponse est plus compliquée que simplement dire que de plus gros muscles sont de meilleurs muscles
by Charles Poliquin
"Toutes choses étant égales, l’athlètes le plus fort remportera la victoire."
"Seuls les forts survivent!"
"On n’est jamais trop fort!"
Vous avez peut-être déjà lu ces slogans inspirants sur le mur d’une salle d’entraînement. Ils ont du vrai, mais il y a une nuance importante : il y a plusieurs manières de développer la force, et parfois le type de masse musculaire associé à une méthode d’entraînement n’est pas celle qu’un athlète donné devrait utiliser. Ce dont il est question ici, plus spécifiquement, est d’hypertrophie fonctionnelle.
Ne confondez cependant pas hypertrophie fonctionnelle et entraînement fonctionnel. Je ne parle pas ici de faire des squats sur ballon suisse ou de jongler avec des girevoy (kettelbells) (excusez-moi pendant que je ravale le vomit qui m’est monté dans la bouche), mais de protocoles pour développer de la masse musculaire chez les athlètes. Le terme hypertrophie fonctionnelle décrit exactement ce qu’il signifie, c’est-à-dire « le développement d’une masse musculaire contribuant directement à la performance sportive ou l’activité pour laquelle un individu s’entraîne. » En tant que tel, il peut y avoir un type d’hypertrophie fonctionnelle pour un joueur de tennis et un autre pour le joueur défensif au football américain, et un autre encore pour un pompier. Un type d’entraînement ne convient pas à tout le monde.
Le public général ne voit pas souvent la corrélation qu’il peut y avoir entre la masse musculaire et la performance athlétique. Regardez un match de basketball de n’importe niveau et vous verrez des joueurs exceptionnels avec des physiques remarquables jouer côte à côte avec des athlètes tout aussi exceptionnels qui donnent l’impression qu’ils pourraient gagner de la masse en suçant une orange. La même situation prévaut aussi en tennis féminin où vous verrez des championnes musclées comme Serena Williams et des championnes avec des physiques de mannequins comme Maria Sharapova. Vous verrez cette disparité même en haltérophilie, où les physiques varient grandement entre les compétiteurs; en fait, parce que le développé olympique a été éliminé de la compétition en 1972, les champions de notre époque ont, de manière générale, des physique beaucoup moins impressionnants que les champions d’il y a 50 ans.
Une des raisons pour cette confusion dans les sports est qu’il y a plusieurs facteurs associés à une performance athlétique de haut niveau. Des facteurs comme le talent et la qualité du coaching.
Talent. Premièrement il y a le concept selon lequel le talent prévaut. Est-il possible que les équipes de football américain de 1ière division qui sont fréquemment dans le top 20 des sondages aient plus de talent que les équipes qui finissent dans les 20 derniers? Vous pensez? Pourtant, plusieurs préparateurs physiques collégiaux de football américain jouent à « suivre le chef » en copiant les programmes de préparation physique des équipes championnes. Oui, le talent rend la tâche du préparateur physique plus facile, et c’est la raison pourquoi plusieurs pays n’ayant pas les moyens financiers des Etats-Unis font passer de nombreuses évaluations à leurs athlètes, afin de voir s’ils en valent l’investissement.
Qualité du Coaching. La qualité du coaching est également un facteur important du succès athlétique, particulièrement lorsque l’on considère que plusieurs entraîneurs auprès des jeunes athlètes américains n’ont aucun parcours académique ni formation en entraînement. De plus, les dépenses afférentes à de bons entraîneurs limitent le nombre d’athlètes talentueux qui peuvent se permettre de travailler avec ces derniers, en particulier dans les sports coûteux tels que le ski, le golf, le tennis et le patin artistique. Il en est de même pour l’achat de patin à glace et de bâtons de golf, réserver du temps de pratique sur les courts et les greens, ainsi que les dépenses de voyage. L’histoire de l’équipe de bobsled Jamaïcaine est certainement intéressante, mais sans les fonds pour l’équipement et l’entraînement nécessaires, le succès de ces athlètes doit être considéré comme une anomalie. Bien sûr, certaines écoles ont des entraîneurs et des plateaux sportifs de qualité, mais la plupart des équipes d’élite s’entraînent à l’année dans la plupart des sports.
Bien que la masse musculaire d’un culturiste professionnel comme Ronnie Coleman soit impressionnante, ses méthodes d’entraînement ne sont probablement pas les plus adéquates pour une haltérophile. Photo par Milos Sarcev
Les culturistes, eux, ont l’air fort – et il y en a plusieurs qui sont effectivement aussi forts qu’ils en ont l’air. Ronnie Coleman, huit fois tenant du titre de M. Olympia, pouvait squatter et soulever de terre 800 lbs (363.6 kg.) L’homme fort Canadien Hugo Girard, qui a donné une présentation à notre Eleiko Strength Seminar en juin dernier, peut développer 804 lbs (365.5 kg) pour 2 répétitions et soulever de terre 848 lbs (385.5 kg) – et, ah oui, il peut aussi renverser une voiture! Est-ce que cela signifie que les programmes d’entraînement qui ont permis à Girard et Coleman d’accomplir ces exploits de force brute aideront aussi un joueur de tennis à servir la balle à 220 km/h? Ou un sprinter à courir un 100 mètres en moins de 10 secondes? Ou un joueur de baseball à frapper un coup de circuit hors du stade? Probablement pas.
Parce que l’entraînement en force n’est qu’un des nombreux facteurs du succès athlétique, trop souvent cela permet aux préparateurs physiques et aux entraîneurs personnels de s’en sortir en prescrivant des programmes d’entraînement inférieurs – ce qui en retour va créer une multitude de facteurs imprévisibles et bien souvent malheureux. Ceci étant dit, parlons des fibres musculaires.
Masse Musculaire : les Variables
Le développement de l’hypertrophie fonctionnelle n’est pas aussi simple que de dire à tous les athlètes de n’utiliser que des protocoles de force relative. Peut-être certaines athlètes féminines dans des sports avec une importante composante esthétique, comme la gymnastique et le patin artistique, pourraient s’entraîner de cette façon durant toute leur carrière. En contraste, des athlètes provenant de sports de contacts/collisions comme les joueurs de football ont souvent besoin d’une bonne quantité de masse musculaire pour bien performer lorsqu’ils sont au plus haut niveau de leur sport, et si ces fibres musculaires ne sont pas entraînées à un jeune âge, ces athlètes pourraient ne pas être capables de les activer adéquatement plus tard dans leur carrière. En fait, je crois que c’est une des raisons pour lesquelles je ne suis pas très bon lors des séries longues avec une charge lourde, du moins en comparaison des charges que je peux soulever pour les séries plus courtes.
Lorsque vous créez un protocole de développement de l’hypertrophie fonctionnelle pour un athlète spécifique, vous devez garder à l’esprit plusieurs variables. En voici quelques unes.
La Croissance des Cellules Musculaires. Il y a deux types d’hypertrophie : sarcoplasmique et sarcomérienne. L’hypertrophie sarcoplasmique résulte de l’augmentation des protéines non-contractiles et du fluide entre les fibres musculaires – en d’autres mots, l’hypertrophie sarcoplasmique représente une augmentation de la taille du muscle, mais sans augmentation de la force du muscle. L’hypertrophie sarcomérienne provient de l’augmentation des fibres contractiles qui produisent la contraction musculaire. Ces différences expliquent pourquoi un culturiste peut avoir des pectoraux, des épaules et des bras qui impressionnent, mais un développé-couché qui impressionne beaucoup moins. Pas qu’un développé soit une absolue nécessité pour un physique de qualité, mais je trouve curieux d’avoir constaté qu’au moins trois tenants du titre de M. Olympia ne puissent même pas pousser plus de 315 lbs (143 kg) pour 6 répétitions durant leur hors-saison, alors qu’ils sont supposé être à leur plus fort.
Le Type de Fibres. Dans les années 90, lorsque j’ai publié pour la première fois The Poliquin Principles, j’ai discuté de l’importance de travailler une variété de types de fibres musculaires, autant celles à seuil bas que celles à seuil élevé, pour atteindre le maximum de résultats. La raison provient du fait que les haltérophiles de haut niveau qui se concentrent surtout sur les fibres musculaires à seuil élevé avec des séries courtes ont souvent des niveaux exceptionnels de masse musculaire. Plusieurs remarquables culturistes des années passées, tels que Franco Columbu, John Grimek, Sergio Oliva et Bill Pearl, ont atteint les plus hauts niveaux du culturisme tout en étant capablee de bien performer dans les sports de levers compétitifs. Il est donc logique que les culturistes doivent s’entraîner avec des séries courtes pour atteindre le maximum de masse musculaire.
Pour une revue générale de la multitude des méthodes d’hypertrophie, commencez par The Poliquin Principles
L’efficience Neurologique. L’efficience neurologique se réfère à la capacité d’un individu à recruter ses fibres musculaires à haut seuil d’activation. Elle revêt une importance particulière pour les athlètes pré-pubères et toutes les athlètes féminines. Pour ces deux groupes, centrer l’entraînement sur des séries de 1-2 répétitions ne constitue pas une utilisation efficace du temps d’entraînement, puisqu’ils ne peuvent bien souvent pas recruter un nombre significatif de fibres à haut seuil d’activation, particulièrement s’ils n’ont pas d’expérience préalable en entraînement. En raison de la complexité du sujet de l’efficience neurologique, j’en ai discuté dans deux différents séminaires de la série des Considérations Spéciales : « Entraîner l’Athlète Pré-Pubère » et « Entraîner des Clientes. »
Freinage Musculaire. Le prochain concept concerne la manière dont les muscles se contractent. La théorie derrière la contraction musculaire est que deux types de filaments, un épais appelé myosine et un plus mince appelé actine, sont les éléments contractiles de la fibre musculaire et glissent l’un sur l’autre pour produire le mouvement. Ce qui est pertinent pour l’entraînement dans cette théorie est que ce glissement se produit à différentes vitesses dépendamment du type de fibre qui est activé, et que ces réactions ne sont pas indépendantes. Cela implique que créer trop d’hypertrophie dans les fibres à seuil bas, va provoquer un effet de freinage sur la vitesse globale de contraction d’un muscle.
Biomécanique. La vitesse règne en sport, mais il est important de ne pas confondre les contractions musculaires lentes associées à l’activité aérobie et les mouvements lents qui font souvent partis des protocoles d’entraînement excentriques. L’intention de bouger rapidement peut à elle seule activer les fibres à seuil élevé. Pierre Roy, un des entraîneurs les plus accomplis en haltérophilie au Canada utilise avec succès ce type de protocole d’entraînement avec ses athlètes d’élites. Mais il y a des exceptions.
On considère généralement qu’un exercice a un patron-moteur exact, mais à vitesse élevée il est possible de recruter des muscles différents. Le muscle brachioradial, par exemple, n’est pas recruté lors de la flexion de l’avant-bras à vitesse faible, mais il l’est à vitesse élevée. Pareillement, l’entraîneur d’haltérophilie et scientifique du sport Russe Robert A. Roman a publié des articles citant des études qui démontrent que le fait d’effectuer des tirages avec des charges lourdes (comme celles de 90% et plus de 1RM dans les levers classiques) affecte négativement les patrons de coordination du tirage.
Adaptations Vasculaires. Il est généralement accepté que d’avoir trop de gras corporel va nuire à l’endurance, et en effet une bonne manière d’améliorer notablement son VO2max est tout simplement de perdre du gras. Mais il est aussi vrai que trop de masse musculaire va taxer le système vasculaire et que cette hypertrophie risque d’être nuisible à la performance sportive. On dit que l’endurance est un facteur important du quatrième quart d’un match de football américain, mais c’est souvent parce qu’il y a une fatigue présente d’entrée de jeu. Les joueurs plus légers ont effectivement souvent besoin de plus d’endurance musculaire, puisqu’ils doivent travailler plus fort face aux joueurs plus lourds de l’équipe adverse. C’est pourquoi je ne dis jamais : « Pour développer de la force fonctionnelle chez un joueur de football, faites 4-6 séries de 2-5 répétitions avec 30 secondes de repos. » Ce n’est malheureusement pas si simple.
Principe de Spécificité. Faire un volume élevé de travail musculaire en endurance pour une longue période de temps va faire en sorte que les fibres de type rapide vont se comporter comme des fibres de type lent afin de s’adapter au niveau élevé de fatigue qui leur est imposé. C’est dû au principe de spécificité, qui fait référence à la capacité du corps à s’adapter d’une manière spécifique à un stimulus spécifique. Est-ce qu’un homme peut développer 300 kg ? Plusieurs y sont arrivés, certains sans équipement de support, et le record mondial au moment présent est de 488.6 kg, détenu par Ryan Kennelly des Etats-Unis. Est-ce qu’un homme peut courir un marathon en moins de 2 heures et 20 minutes ? Plusieurs y sont arrivés, et le record mondial de 2 :03 :59 est détenu par l’Éthiopien Haile Gebrselassie. Est-ce que quiconque est arrivé à développer 300 kg et courir un marathon en moins de 2 heures et 20 minutes dans la même semaine ? Non, et pour ce que ça vaut, personne n’y est arrivée dans la même vie.
Courir un marathon et être capable de soulever des appareils ménagers imposants sont certainement des exemples extrêmes, mais plusieurs études ont démontré que même une petite quantité d’entraînement aérobie peut diminuer les gains en force. En fait, se concentrer sur l’entraînement aérobie avant l’adolescence peut empêcher l’athlète d’atteindre son plein potentiel de puissance lorsqu’il grandit. Considérez donc l’aérobie comme une forme de retard mental imposé volontairement.
Jim Thorpe était un grand athlète, tout comme l’était Babe Didrikson. Le gagnant du décathlon est considéré comme le plus grand athlète, mais ce n’est qu’un titre. Les performances du champion Olympique Bryan Clay en 2008 au décathlon sont certainement très impressionnantes, mais elles restent loin des records du monde dans les sports individuels ou même les meilleures performances accomplies lors de ces mêmes Jeux. Par exemple, Clay a gagné l’épreuve du lancer du disque au décathlon avec un lancer de 53.79 mètres et le sprint de 100 mètres avec un temps de 10.44. Le lancer gagnant des Jeux lors de l’événement principal de lancer du disque a été de 68.82 et le gagnant du 100 mètres a fait un temps de 9.69 secondes. Lorsqu’il est question de sports multiples, à l’exception de quelques superstars comme Bo Jackson et Deion Sanders, les athlètes ne peuvent tout simplement pas compétitionner au niveau le plus élevé dans plus d’un sport.
En termes simples, l’hypertrophie fonctionnel d’un athlète n’est pas nécessairement l’hypertrophie fonctionnel d’un autre athlète.
Et la Réponse Est….
… compliquée. Comme vous avez pu le constater, en raison du grand nombre de variables, il n’y tout simplement pas de prescriptions d’entraînement appropriées pour tous les athlètes et qui soient applicables à tous les stades de développement. Vous ne pouvez pas vous attendre à découvrir tout ce que vous voulez savoir à propos de l’hypertrophie fonctionnelle à partir d’un seul article, livre ou séminaire. Mais si vous continuez à poser des questions et à apprendre, vous allez découvrir de bonnes réponses qui vont faire la différence.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire